Peu avant l'aube vint le papillon.

L'aube n'était pas encore levée ; le vent glacial soufflait sans interruption depuis la tombée de nuit ; et la neige avait enfin cessé de tomber. Un manteau de neige recouvrait le sol et aucune trace de pas ne se faisait voir ; personne n'avait encore osé sortir le bout de son nez. Pourtant, malgré ce froid et les flocons amoncelés sur le sol, un félin sortit de sa tanière et fit quelques pas dehors. Il s'arrêta, huma l'air et reprit sa route, comme s'il avait peur d'être suivi. Il quitta le camp endormi et alla vers la lande désertique. Il ne marqua pas d'arrêt. Non, il voulait se promener sur la lande, peut-être même allé plus loin. Se promener, oui, mais pas seulement. Les évènements de la veille l'avaient chamboulé alors qu'il n'en n'avait vraiment pas besoin. Tout s'abattait sur lui sans lui laisser un moment de répit. Et pourquoi lui à la fin ? Qu'avait-il fait à la fin ? Il pesta et continua sa route.

La lande désertique était recouverte d'un joli manteau blanc immaculé ce qui cachait les couleurs brunes du sol aride. Les quelques arbres qui s'élevaient étaient enneigés avec deux ou trois stalactites qui pendaient aux branches givrées. Aël, la seule tache noire au milieu de cet océan blanc, ne s'arrêtait guère pour observer le paysage. Trop préoccupé dans ses pensées, c'est tout juste s'il apercevait le bout de ses pattes avançant dans la neige. Pourquoi tout s'acharnait sur lui ? D'abord, il y a quelques lunes, il avait vu sa soeur se faire égorger et il s'était vu contraint de rejoindre ce foutu clan à la noix. Il y avait une période d'accalmie, plus rien, aucun soucis à part quelques imbéciles qui se croyaient plus malin que lui. Ils avaient voulu jouer, ils s'étaient cassés les dents. Et depuis ces derniers jours, la tempête se déchaînait sur lui ! Cela avait commencé par une petite sortie nocturne. Il était juste sorti du camp et était allé sur la colline surplombant la lande, ce qui n'avait pas plus à Destin Sanglant sinon c'était pas drôle. Ensuite, le lendemain soir, il avait fait une drôle de rencontre. Dans son rêve, il avait rencontré une guerrière étoile qui n'était pas Dara. La question de savoir qui elle était lui avait trotté dans la tête un bon moment avant qu'il ne découvre la réponse. Après, Destin Sanglant l'avait mené de force à la Grotte de vie où ils étaient restés à poireauter pendant un bon moment. Le chat noir avait pigé le plan du félin blanc : assassiner le premier guérisseur ou chef venu pour communier avec le Clan des Etoiles. Il avait donc déclaré à Destin Sanglant qu'il ne l'aiderait pas et le félin albinos lui avait lancé une menace. Puis était venu le chef du Clan de la Rivière, Etoile des Cascades. Son chef l'avait tué sans aucune pitié tandis que lui observait la scène. Diverses pensées lui avaient traversé l'esprit. Il en venait toujours à se demander comment il avait pu le laisser mourir, lui, Etoile des Cascades, un ancien ami de sa famille et de lui-même. Une conclusion lui venait toujours à l'esprit, la plus vraie mais il ne pouvait s'empêcher qu'il y avait du faux dedans. Il avait changé. Il n'était plus le même. Finalement, il n'avait pas tort lorsqu'il avait dit à Ecaille de Printemps, la veille, que Jay' était mort. Bref, après la mort du chef du Clan de la Rivière, il avait discuté une nouvelle fois avec la guerrière-étoile répondant au nom de Céleste et semblait en savoir plus qu'elle ne le laissait entendre. A l'aube, il avait discuté avec Nuage de Cyclone et Pluie Mortelle. Mais qu'est-ce qu'ils avaient ces deux-là à lui prendre le chou ? Ils ne pouvaient pas le laisser en paix. Non, c'était impossible pour leur cervelle de subalternes, de pions. Il soupira. A l'apogée, alors qu'il était au ruisseau, c'était Destin Sanglant qui était venu le déranger. Lui, c'était pire que tout. Il se croyait tout permis. Mais une seule question restait sans réponse. Aël avait dit qu'il était désolé, mais avec le recul, il se demandait à qui s'adressait réellement ses paroles. A la fin de leur discussion, le félin blanc était parti en déclarant q'il ne chassait pas les lapins bleus. S'il était au courant de ce que son second avait dit, c’est que Nuage de Cyclone était un sale cafteur également écervelé. Le soir, jour de l'Assemblée en plus, il s'était promené sur les terres du Clan du Tonnerre et avait croisé Ecaille de Printemps. Leur conversation l'avait fortement perturbé, à un point qu'il ne savait même plus où donner de la tête. Il s'arrêta. Il leva la tête de ses pattes et observa autour de lui. La forêt l'entourait. Où était-il ? Il huma l'air et décela l'odeur du Clan de l'Ombre. La forêt sombre. Il était déjà si loin ?! Il soupira. Pourquoi fallait-il toujours qu'il pénètre dans les territoires ennemis ? Soudain, il entendit un bruit. Qui était-ce ? Destin Sanglant qui l'avait suivi en douce ou l'un de ces foutus guerriers du Clan de l'Ombre ?

Aël identifia sans trop de mal le bruit. Un craquement de brindilles, probablement causé par celui qu'il avait croisé ou qui le suivait. Il n'arrivait pas à savoir d'où était provenu le bruit mais il restait aux aguets. Il ignorait qui c'était et il ne voulait pas prendre le risque de se faire prendre. Il avait suffisamment d'ennuis comme ça. Après avoir attendu, il reprit sa route, cette fois-ci dans le sens inverse pour pouvoir rentrer au camp, sans faire une malencontreuse rencontre qui pourrait finir par un bain de sang avec ces brutes de guerriers du Clan de l'Ombre.

Aël avait l'impression de s'éterniser dans cette forêt. Il marchait vers le camp de l'Apocalypse depuis un bon moment mais l'orée des bois n'était toujours pas visible. S'était-il donc aventuré si loin ? Peut-être bien après tout. Il avait été plongé dans ses pensées pendant tout son trajet ; il ne pouvait savoir où il se trouvait précisément. Il se pouvait qu'il fasse fausse route depuis le début, qu'il avance plus profondément dans les terres du Clan de l'Ombre. Tout était possible. Le second savait qu'à présent ses repères actuels n'étaient plus ce qu'ils étaient auparavant. Pourquoi ? Il ne saurait l'expliquer. Mais cette vérité ne pouvait être ignorée. Mais ce n'était pas le seul problème. Il en existait d'autres, deux ou trois, tout au plus, qu'il ne pouvait accepter sans se demander était-ce réellement vrai. Tout était possible. Comme la veille, lorsqu'il avait dit "Je suis désolé" devant Destin Sanglant. Sur le coup, il avait été persuadé qu'il s'adressait au félin blanc, mais en ressassant sans cesse ce moment précis, des doutes s'installaient. Ils se faisaient de plus en plus nombreux et aucun d'entre eux n'apportaient un élément de réponse. La question la plus dérangeante était, selon Aël, de ne pas savoir concrètement à qui il s'était adressé. Destin Sanglant, Dara, ses parents Neige et Glace, Céleste voire peut-être même Etoile des Cascades. Il s'était posé des questions supplémentaires, pour trouver la raison pour laquelle il serait excusé. Pour trois personnes, c'était extrêmement simple. Les trois membres de sa famille. Il collaborait avec le chef de leurs assassins, l'assassin même dans le cas de Dara, après tout. Ensuite, venait les trois restants où c'était déjà plus délicat. Etoile des Cascades. Peut-être le simple fait de l'avoir laisser mourir sans bouger alors qu'il s'agissait de cela. Pour Céleste, le fait d'avoir révélé leurs rencontres ? Peut-être ou était-ce quelque chose de plus profond. Après tout, la guerrière-étoile semblait en savoir plus qu'elle ne le laissait entendre. Que pouvait-elle bien cachée ? Mais pour Destin Sanglant, il ne voyait absolument pas. S'il s'était bel et bien adressé à lui, pourquoi ? Non, là le mystère n'allait pas se résoudre si facilement.

L'orée de la forêt était toujours invisible et Aël en venait à se demander vraiment s'il avait pris la bonne direction. Il se demandait également qui pouvait bien être la personne qu'il avait entendu tout à l'heure. L'une de ces brutes du Clan de l'Ombre ou Destin Sanglant qui attendait le bon moment pour lui sauter dessus ? Un mystère qu'il aimerait ne pas découvrir. L'idée de rencontrer en ces lieux le félin blanc ne l'enchantait guère et celle de rencontrer un guerrier du Clan de l'Ombre également. Il n'avait aucune envie de croiser un félin des Clans. Les questions fuseraient et le félin d'encre n'avait aucune envie des les entendre et d'y répondre. Soudain, il sentit une masse lui heurter le dos.

Aël sentit une masse lui heurter le dos et qui le lui lacérait. Cependant, il fut surpris de voir que cette masse était tout aussi légère que celle d'un chaton. Il se dégagea de l'emprise de son agresseur et lui fit face. Un chaton écaille aux yeux bleus indigo se tenait devant lui, prêt à en découdre. Le félin d'encre recula, non pas de peur mais par prudence. Pour prouver qu'il n'était pas un ennemi, juste un simple solitaire... Cette pensée le fit rire intérieurement. Il n'était plus un solitaire mais le fait de passer pour l'un deux l'amusait un peu. C'était un peu comme s'il retrouvait son ancienne vie. Il s'assit pour prouver qu'il ne lui voulait aucun mal, contrairement à ce que la petite chatonne pouvait penser.

Deux solutions se proposaient au second. La première, fuir pour éviter tout incident. La deuxième, rester là, devant la chatonne et attendre sa réaction. S'il optait pour cette deuxième solution, deux nouvelles s'offriraient de nouveau à lui. Si elle attaquait, fuir, si elle restait là sans rien faire, attendre. Il ne savait pas vraiment pourquoi il avait décidé d'attendre mais il le faisait. Son regard fixait la jeune féline ; il était d'un calme absolu tandis que la chatonne devait probablement être sur ses gardes, aux aguets, peut-être un brin effrayée.

Aël ne bougeait pas ; la petite brise avait repris en intensité et soufflait toujours ; les arbres étaient légèrement secoués ; les feuilles se frottaient entre elles et produisaient un froufrou inquiétant ; la lune était à peine visible à cause du couvert des arbres ; et cette petite brise produisait un étrange sifflement. Le félin d'encre restait de marbre. Il guettait la moindre réaction de la chatonne. S'ils devaient parler, ce n'était pas lui qui lancerait la conversation.

La féline ne l'attaquait pas mais elle lui ordonnait de partir. En fin de compte, ils ne parleraient pas, ce qui l'arrangeait fortement. Il remarqua qu'elle commençait à trembler. Avait-elle peur ? Probablement. Pourtant, il ne lui voulait aucun mal. Il était juste un ex-solitaire qui retrouvait son ancienne vie et qui s'était aventuré sans le vouloir sur les terres du Clan de l'Ombre. Rien de plus qu'un félin légèrement perturbé. Mais rien ne lui disait que s'il lui disait cela elle le croirait. Non, rien n'était sûr sur ce sujet. En fait, plus rien n'était sûr ces derniers temps.

Le silence était retombé autour des deux félins. Aël ne bougeait toujours pas. Pourtant, il faudrait bien qu'il fasse quelque chose. Quelque chose. Ne rien faire lui convenait parfaitement depuis quelque temps. Il n'avait rien fait face à Destin Sanglant. Il n'avait rien fait pour aider Etoile des Cascades. Et là, il restait planter là, sans rien faire. Il percuta enfin quelque chose. Depuis de lunes, il était forcé de côtoyer le félin blanc. Depuis des lunes, il pouvait se débarrasser de lui. Mais il ne l'avait jamais fait. Il y songeait mais non. Jamais. En avait-il peur ? Peut-être, il n'en savait rien. Peut-être qu'il n'en savait rien. Non. Il n'avait pas peur de le tuer mais des conséquences qui se produiraient. Une guerre, la paix, des tensions, tout pouvait arriver. Tout et n'importe quoi. Il n'avait pas tué Destin Sanglant pour que cette époque garde un peu sa stabilité, même si une guerre se préparait. Ou alors c'était totalement autre chose et il faisait fausse route depuis le début. S'il avait bien peur de quelque chose... C'était une chose naturelle après tout. Un sentiment, une émotion ressentie comme une autre. Mais la question se posait : de quoi avait-il peur ? De tuer le félin blanc ? D'ôter une vie ? Non, il l'avait déjà fait auparavant. Et si c'était bien des conséquences qui allait survenir ensuite ? L'envie de vengeance de l'un des membres de l'Apocalypse pourrait lui tomber dessus. Et si cela devait arriver, ces vengeurs n'auraient plus qu'une idée en tête : lui faire regretter son acte, le tuer en d'autres termes. Était-ce donc de cela qu'il avait peur ? Peut-être bien mais tout son esprit était si embrouillé que cela pouvait être une absurdité. Il préféra arrêter d'y réfléchir. Là, il n'avait plus qu'une envie : celle de rentrer. Il lança :

Puis il commença à partir.